L'auteur Illustrateur Sergio Toppi vient de nous quitter des suites d'un cancer à presque 80 ans.
Il a quitté notre plan astral pour en rejoindre un autre, quelque part dans une galaxie moebiusienne où le shaman et l'artiste ne forment qu'un.
Pour moi, plus qu'un raconteur, il était un sorcier, quelque part entre les oeuvres poétiques de Baudouin... et les fables aventurières de Will Eisner.
La construction audacieuse des planches de Toppi en a déstabilisé plus d'un, sans doute les mêmes qui renvoient Hal Foster au rayon des illustrateurs minutieux et René
Hausman a un dessinateur animalier.
Pour apprécier la façon par laquelle Toppi utilisait le contour d'une épaule d'un personnage pour en faire l'amorce d'une falaise accueillant ce même personnage quelques
cases plus loin, il fallait avoir gardé un peu de ces manières de l'enfant, et profiter du simple plaisir du vertige provoqué par leur découverte.
Peut-on d'ailleurs seulement encore parler de cases chez un auteur qui s'est si souvent affranchi d'en tracer ? Pourquoi enferner l'espace et le temps dans un enclos, quand un
même ciel enrobe nos déplacements ?
Je soutiens que sa narration n'était pas sans rapport avec le génie inventif du papa du Spirit : contrairement à ce que certains pensent, ce n'étaient pas là de simples stratagèmes
graphiques, effets gratuits de sa part pour "tomber de la belle page".
Il faisait partie de ceux qui me font considérer une planche comme un tout, un tableau destiné à être embrassé d'un seul regard, d'une même émotion, nuancée de différents
"moments" à l'intérieur, et non comme une seule juxtaposition de petits tableaux posés les uns à côté des autres qui, même s'ils figurent une continuité entre
eux, ont pour limite de réduire (quand même un peu) une planche de BD à un sempiternel gauffrier.
Chez Toppi, l'adjonction de bulles systématiquement et parfaitement rondes (faites au trace-cercle) figurait la forme idéale pour compléter l'équilibre de
la planche, comme de petites bulles d'air, remontant vers la surface dans le grand rectangle d'une page, elle-même harmonieusement composée d'applats noirs, de
réserve de blanc, de croisés, d'ondulations maîtrisées et d'absence de contours.
Le Mondrian de la BD !
Comme un même thème musical soude ensemble les différents plans d'une même séquence de film, l'imbrication des cases les unes dans les autres dans l'oeuvre de Toppi faisait partie
du processus d'enchantement, d'hypnose qu'il cherchait à produire sur le lecteur. Quant à ses histoires, elles n'étaient souvent que l'illustration de cette recherche d'illusionisme :
sorciers, shamans, mirages, reflets, faux-semblants...
Quand on parcourt son oeuvre, on est frappé par
une récurrence : la quasi-absence totale de perspective ! Pas de point de fuite vers lequel les lignes se rejoindraient à l'infini : les bâtiments, la nature, les personnages sont
présentés de face ou de profil, comme un théâtre d'ombres (tiens, encore une réccurence avec Edmond Baudouin dont "Théâtre d'Ombres" est le titre d'un album).
Et on l'imagine bien, ce cher Sergio Toppi, en train d'animer ses personnages-marionnettes derrière un drap tendu et éclairé par l'arrière, tandis qu'il scrute côté public, de son regard appuyé
de sourcils épais par-dessus ses lunettes, les visages tour à tour émerveillés et effrayés de ses lecteurs.
parmi les marionnettes, il y aurait la sublime Sharaz-De, encore engourdie de sommeil et prête à raconter son rêve au sultan pour sauver sa vie. il y aurait aussi la longue
silhouette du Collectionneur (son seul personnage récurrent), en train d'évaluer l'état d'une amulette maudite récemment acquise. Il y aurait aussi un ou deux poilus de la
Grande Guerre, Sitting-Bull caressant l'encolure de son cheval, un Aborigène portant la veste d'un officier Anglais, une femme sublime avec les cornes de Belzebuth, un Jivaro halluciné, ou encore
un Néandertalien soignant les plaies que lui aurait porté son combat contre un ours, le tout sous le regard d'une chouette perchée sur le sceptre de quelque mage oriental.
Je m'imaginais un peu Sergio Toppi comme Charles Aznavour dans "Les Fantômes du Chapelier" : un physique de petit artisan, discret, et dont la modeste boutique cachait bien les
incroyables secrets de son propriétaire.
Et à l'instar de la belle Sharaz-De dans son palais des Mille et Une Nuits, Toppi nous y raconterait lui aussi encore et encore, de nouvelles histoires fantastiques,
de ces récits dont la fin n'est pas encore certaine après que la dernière phrase ait inversé la chute attendue.
Je perçois son oeuvre comme une sorte de
descendance, à la fois des fameux EC Comics (Les Contes de la Crypte...), mais aussi comme l'héritage de cette tradition toute paysanne des veillées contées d'antan, ou
encore des écrivains de nouvelles fantastiques à la Jean Ray ou Maupassant.
On sentait chez lui une jubilation à placer le cadre ses histoires dans un contexte historique qui lui permettrait de dessiner des costumes militaires bariolés avec ses casques lourds ornés de plumes, des boucliers antiques, des moustaches tournicotées et des gradés pompeux. Il était exceptionnellement doué pour dessiner des monstres, des animaux, et des hommes devenus fous, mêlant les uns aux autres !
Sergio Toppi avait pour mentor et ami le grand Dino Battaglia. Il était le compatriote d'Hugo Pratt. A ce titre, je n'ai jamais bien compris pourquoi le père de Corto Maltese a connu un si large succès (et ô combien mérité), avec une oeuvre pourtant parfois difficile d'accès... quand les trésors virtuoses de Toppi auraient dû faire de lui un nom aussi familier du grand public que peuvent l'être ceux de Tardi, Moebius ou Loisel.
Car son oeuvre dense et fascinante semble aujourd'hui ne faire l'objet "que" d'un culte auprès des dessinateurs eux-mêmes (dont votre serviteur), et d'une poignée
d'éclairés, public certes restreint, mais totalement conquis.
Les livres portant son nom sont aujourd'hui les seuls que j'achète systématiquement, ou à défaut, dont je souffle les titres autour
de moi si leur sortie coïncide avec l'imminence de mon anniversaire ou l'approche de Noël.
La découverte de ses originaux, aussi immenses qu'éblouissants, lors d'une exposition à Quai des Bulles en 2005, m'ont fait aller le voir pour une séance de dédicace, unique rencontre, regrettant alors de ne pas avoir choisi l'Italien à l'école (puisqu'il ne parlait pas Français).
Quand, invité à une émission radio consacrée à la BD, on me pose la question rituelle : "Quel livre ou auteur aimeriez-vous faire connaître?", par deux fois, et à quatre ans d'écart je répondrai de la même manière : "Sergio Toppi !"
Ses livres sont ceux que j'aime offrir à ceux dont je me sens le plus proche.
Ils m'ont donné envie de rentrer en contact avec les éditions Mosquito de Michel Jans, responsables du bel écrin dans lequel on peut lire aujourd'hui son oeuvre en Français.
Ces mêmes éditions pour lesquelles j'ai fait La Merveilleuse Histoire des Editions ROA, et pour lesquelles je prépare un recueil d'histoires fantastiques en noir et
blanc fortement influencé par mes lectures de Toppi.
Pour toutes ces raisons,
Grazie Mille, Maestro !
Par quoi commencer pour découvrir Toppi ?
Je suggère Sharaz-De (tome I et II - chez Mosquito) :
Sans doute son oeuvre la plus connue, recueil et adaptation des Contes des Mille et Une Nuits, l'érotisme éclipsé au profit d'une ambiance fantastique toute toppiesque.
Chaque tome pouvant se lire indépendamment, n'hésitez pas !
Si vous êtes séduit, laissez-vous enchanter par un titre, et comme moi, revenez-y encore et encore.
Odkin le Immi 29/08/2012 16:36
Lefeuvre 29/08/2012 18:16
ALeX 27/08/2012 11:56
Lefeuvre 27/08/2012 15:10
douvry jean françois 25/08/2012 22:40
Lefeuvre 26/08/2012 14:30
galien 23/08/2012 09:41
Lefeuvre 23/08/2012 11:14
phil 23/08/2012 09:11
Lefeuvre 23/08/2012 11:14
soyouz 23/08/2012 00:08
Lefeuvre 23/08/2012 11:11
phil 22/08/2012 15:44
Lefeuvre 22/08/2012 16:08