Se lancer dans une chronique de "Frazetta contre les Clones" n'est jamais une mince affaire. Généralement, je me dis que j'ai quelques exemples
bien rangés de Frazettades autour d'un tableau, ou d'une thématique bien particulière, et qu'il ne me reste donc plus qu'à vous balancer tout ça.
Rapidement.
Ce que je peux être naïf.
Aujourd'hui donc, je m'attaque à Conan (façon de parler : je pèse 68 kilos tout mouillé et je tiens à la vie).
Pour la majorité de ceux qui ne connaissent Frazetta que très vaguement, son nom est synonyme du personnage créé par Robert Howard. Frazetta a en effet
littéralement explosé grâce à la série de couvertures qu'il fera sur lui pour l'éditeur Lancer Books dans les années 60. Sa réputation est passée d'excellent illustrateur et dessinateur de
comics... A superstar !
Et tout ça, grâce à Conan.
Frazetta dira lui-même que si Foster restera certainement comme LE dessinateur de Tarzan, on se souviendrait plutôt de lui pour
son apport sur le personnage de Conan.
Il est d'ailleurs à présent important d'ajouter que Conan doit tout autant à Frazetta, puisque c'est incontestablement grâce à ces fameuses
peintures que le Barbare a connu ce renouveau dans les années 60, et qui conduira rapidement aux nombreuses déclinaisons en comics (Marvel ayant dans la foulée acquis les droits
d'adaptation), cinéma (un remake - ou pour être exact un "reboot" : reprise de la légende à sa base - est d'ailleurs en tournage par Marcus Niespel), une série télé (no
comment) et une série de dessin animés pour les gosses ("Conan, l'aventurier, le sauveur de l'humanitééééééé ... ").
Je ne vais donc pas pouvoir traiter en une seule chronique tous les détournements de la vision frazettienne de Conan, et vais me concentrer sur le premier des 8
tableaux qu'il lui aura consacré, et qui est aussi le plus connu "Conan the Barbarian", peint en 1965.
Petite mise en bouche en commençant par citer un peintre Italien classique : Tiziano Vecellio - ( Le Titien en Français) - 1490-1576 et qui
s'est illustré à la fois par la peinture de scènes mythologiques grecques et bibliques (cf. Tableaux ci dessous ) ...
"Caïn et
Abel" -
"David"
... mais aussi par les portraits virils de rois (si vous ne me croyez pas, jettez un oeil à la braguette - terme exact de la pièce de tissu
rembourrée qui empêchait le membre masculin de se ballader indûment - présentée sur le tableau de gauche : "Henry VIII d'Angleterre"
A ce titre, Le Conan de Frazetta, sa peinture en général fait montre d'une connaissance de l'artiste vénitien. Sans doute un reste de l'éducation du jeune
Frank dans l'atelier du peintre sicilien Falanga dont il a fréquenté l'école de Brooklyn.
Mais nous n'en sommes pas encore là.
Contexte de création de Conan : Les Pulps
En 1936, Robert Howard, créateur de Conan, Skull ou encore Solomon Kane se suicide à 30 ans.
Il laisse derrière lui une oeuvre urgente, toute faite de nouvelles fantastiques et policières où l'action et le souffle épique dominent. A sa mort, Conan est son
personnage le plus fameux et Robert Howard gagne très bien sa vie dans la petite bourgade texanne de Cross Plains où il vivait avec sa mère.
Son oeuvre est publiée dans le magazine pulp "Weird Tales" dans lequel un autre écrivain, H.P. Lovecraft, publie lui aussi ses redoutables
histoires.
Les représentations qui sont alors faites de Conan sont très éloignées de celle que nous lui connaissons tous aujourd'hui.
Cette apparence, C'est à Frazetta que nous la devons.
A l'époque, Howard est fasciné par le culturisme, le naturisme qui fait alors de plus en plus d'émules dans l'Europe des années 30 (notamment en
Allemagne). Une certaine esthétique de la beauté du corps, toute droite héritée des statues grecques, influence aussi les illustrateurs qui illustraient alors les couvertures de Weird Tales
comme vous pouvez le voir dans les deux exemples ci-dessus.
Rajout du
lendemain : Artemus DADA est un archiviste redoutable. Il m'a
envoyé la photo ci-dessus en réaction à la lecture de la présente chronique, document qui la complète. Et puisqu'il écrit très bien, je me contente de recopier le texte écrit à son propos
sur son blog.
" Steve Holland est un acteur qui a notamment servi de modèle à Jim
Bama pour représenter Doc Savage dans les années soixante à l'occasion de la réédition des aventures de l'Homme de Bronze, néanmoins cette photo (qui a été utilisée pour illustrer un roman d'Edison Marshall - West with the
Vikings) semble avoir été reprise pour un film sorti au début des années 80, dont le personnage principal est aussi comme Doc Savage, un pilier de la pop culture."
Et ce fameux film sorti au début des années 80 auquel Artemus Dada fait allusion est bien entendu le CONAN de John Millius (1982) avec Scharzenegger dans le
rôle-titre... avec la peinture de Frazetta (ci-dessous) utilisée comme l'une des affiches. Ajoutons aussi que James Bama est une des influences assumées de Frazetta.
Merci m'sieur DADA !
Venons-en maintenant au sujet qui nous intéresse : Le tableau de Frazetta "Conan the Barbarian".
La vision de Frazetta ajoute aux illustrations habituelles à la fois la force des scènes mythiques ainsi que le maintien des portraits royaux peints
par le Titien. Ces caractéristiques sont des marques du personnage d'Howard.
Mais Frazetta y ajoute aussi sa conception du physique sauvage que devait avoir des brutes comme Conan pour survivre en ces temps sans pitié : La corpulence d'un
ours allié à la férocité du loup affamé.
La construction triangulaire typique des tableaux de Frazetta est aussi présente, avec le premier-plan sombre et quasi impressionniste du monticule humain sur
lequel s'élève le barbare victorieux. La femme accrochée à sa jambe semble elle-même ne s'extraire de la boue de cette colline des morts, qu'à l'endroit où elle s'accroche et rejoint la
puissance de la vie (incarnée par Conan). Comme dans le traitement de son Death Dealer, parmi d'autres exemples, Frazetta s'est concentré ici à soigner les détails sur les
ornements/trophées, bijoux, veines et armes du vainqueur; moyen simple et efficace d'orienter notre oeil là où il le veut.
Passons maintenant au coeur de notre propos : les déclinaisons de ce tableau chez d'autres peintres/dessinateurs.
Commençons par les clins d'oeil/hommage.
A tout seigneur tout honneur : Le génial David Mazzucchelli a choisi de décorer l'appartement d'un dealer de coke de toutes sortes de beauferies hors de
prix... notamment cette statue (certainement le prix de votre appart !) réalisée d'après le tableau de Frazetta.
Mazzucchelli est coutumier du fait, puisque 7 planches en arrière, le commissaire Gordon et la belle Essen prennent un café dans un bistrot estampillé
"HOPPER", sur le modèle du célèbre tableau "Nighthawks" - du peintre Hopper(ce tableau a été détourné tant de fois qu'il pourrait faire l'objet d'une chronique à lui
seul).
(Batman : Year One par Miller et Mazz - Un must-have pour qui prétend un jour avoir lu ce qu'il y a de bon à lire en comics)
On continue avec la couverture de POWERS # 32 - De Brian Bendis et Oeming. Les couvertures sont souvent prétextes à des hommages comme c'est le cas ici. Merci à mon
vieux pote Fabrice de m'avoir envoyé celle-ci que je ne connaissais pas !

On continue avec 2 croquis de l'excellent Goran Parnov, dont le trait magnifiquement jeté me rappelle le grand Bernet (Torpedo, ça vous dit quelque chose
?). Pour les besoins d'une couverture du Punisher, on peut voir (allez-y, faites-moi plaisir et cliquez-moi ça pour agrandir) comment il s'est détaché un peu du quasi
copier-coller du tableau de Frazetta pour son premier croquis ...
Et le résultat final (2009).
Parlov n'est d'ailleurs pas le seul a reprendre cette pose toute droit sortie du Conan de frazetta pour créer une couverture du Punisher, puisque déjà l'an dernier
Dave Johnson tapait lui aussi dans la meuf accrochée à la patte pour composer cette néanmoins très efficace couverture de Punisher : Frank Castle Max # 71
Quand on sait que l'intérieur du comic est du même Parlov cité à peine 5 lignes plus haut... On se dit quand même que les mecs sont peut-être balèzes
niveau dessin... Mais que niveau inspiration c'est une autre affaire.
Trop d'hommage tue l'hommage.
Et puisqu'on est à la limite du clin d'oeil qui devient inspiration manifeste, la transition est toute trouvée pour passer à une autre catégorie : les pompeurs et autres recopieurs.
Je vous mets tout ça un peu en vrac, vous rangerez vous mêmes, hein ? Pas de chichis entre nous. Alors il y a par ordre d'apparition l'affiche du film (ainsi
que la pochette du CD par le regretté Basil Poledouris) avec en cadeau - C'est gratuit ça me fait bien plaisir - les vautours
de Frazetta (si typiques du pays).
On continue avec Brom. Celui-là, on l'a déjà vu ici
(il aime se faire remarquer. C'est comme Ralph Reese et Maroto, tiens).
Ah oui : Je me suis permis de coller la tête du Conan de Frazetta (mis en miroir, histoire que les deux regardent dans la même direction) En tout cas,
ils achètent leur collier dans la même bijouterie. Désolé, je n'ai pas trouvé meilleure qualité. Je ne sais donc pas s'il a poussé le vice jusqu'à reproduire la petite cicatrice sur le nez de
"son" Conan, dont par ailleurs j'aime assez le rendu et les teintes.
Ken Kelly, lui, il a été sympa : Il a fait un gros plan de son Conan. Du coup, on voit bien la cicatrice sur le nez. C'est plus facile de comparer.
Et puis il y a les comics Marvel : "King Conan" devenu au bout de quelques numéros (attention, c'est subtil) ..."Conan the
King" ! Parce que c'est forcément plus vendeur de mettre le nom CONAN en premier.
Dans les premiers numéros, le petit Conan du cartouche en haut à gauche est figuré en posture royale reprenant cette pose du tableau de Frazetta : Les 2 mains
posées sur le pommeau pointe au sol (ci-dessous à gauche).
En passant à "King Conan", on remplace ce dessin par un Conan offensif accompagné de son fils : Le prince Conn (!) Du coup,
comme la composition frazetienne n'avait plus été réutilisée depuis... oh ! : Allez au moins quatre mois, on la réutilise dans la couverture du numéro 33 (ci-dessous à
droite).

On continue avec la couverture française du numéro 1 de Super Conan.
Dommage qu'on ne voit pas bien la tête de mort dans le ciel (comme sur le tableau peint 20 ans avant par Frazetta. C'est pas bien grave, puisqu'internet ma permis
de trouver très facilement l'équivalent Hollandais de la même couverture, où le maquettiste a eu la bonne idée de ne pas cacher la couverture derrière un énorme cartouche aussi jaune
qu'inutile.
Du coup, j'ai l'honneur de vous présenter...
CONAN De BARBAAAAAAAAR ! " DESCHAT VAN TRANICOS !!!"
Chouette ! Désormais on voit bien en plus du reste, le crâne qui fait tant penser à la peinture originelle de Frazetta.
On continue (courage, c'est presque fini), avec cette superbe couverture d'une des fameuses séries bleues Elvifrance qui sent la BD pour
vieux cochon, avec ce titre qui sent si bon lesacrilège "Eve et le Serpent" ! Et comme le chantait Julie Pietri : -"E-veu lèveu-toi et danse avec la
vie".
Oh allez, ça va quoi : On a la culture qu'on peut, et puis je vous rappelle que j'ai commencé cette chronique avec le Titien (1490-1576). Alors camembert.
Entre la hache posée, et la position de la femme couchée... il y a comme une grosse anguille sous roche !
Et quant au serpent lui-même... On le retrouve à passer entre les jambes d'un Conan enchaîné dans un autre tableau du Cimérien toutjours par
Frazetta "Chained" !
Aaaah les tableaux avec des hommes musclés et des serpents curieux : Ca fait le bonheur des psychanalistes, des gay-geeks, voire les deux en même temps : Vous
êtes tous les bienvenus (cf. la couv de Weird Tales - plus haut dans le même article).
Allez, je vous balance quelques dernières images, pas vraiment des pompes ou des frazettades stricto-sensu.
Juste des images recyclant cette esthétique Frazetta de Conan.
Gunnan el
Guerreiro
Couverture de MAD Magazine par Boris.
" The Sword of the
Barbarians" "Thor"
(aussi connu sous le nom "Sangraal") (Vous fiez pas au noms :
Pose de la fille pompée sur celle Tout ceci
est Italien !)
de Sandahl Bergmann
sur l'affiche de Conan plus haut.
Tiens ! Encore
THOR. Une BD faite par deux
connaissances,
L'emmerdez pas trop quand même : en plus : La parodie de RAHAN
Bien énervé, Thor
tue. Par
Gégé et Malo LOUARN
Ne dites rien. Je
sais. "MAAR-RHAN"
Terminons avec le même Gégé, qui a fait figurer à l'arrière-plan de ce que je considère comme son chef-d'oeuvre "Monsieur Tendre"... Une certaine affiche de film,
qui représente ici l'idéal de virilité de son héros, petit moustachu freluquet et timide. Un bijou.
Ah ! J'allais oublier : Coucho est le papa d'une bande dessinée parodique des "Connard le Barbant"qui déferlait à l'époque, dans l'esprit du
MAAR-RHAN évoqué un peu plus haut. Ca s'appelait le Banni ( image retrouvée grâce au génial blog de François Corteggianni), et ça donnait ça :
On compare avec l'original, et on constate que derrière le trait faussement désinvolte de Coucho, il y a un oeil attentif aux codes de Frazettiens, comme ce petit bidon chez la
femme repris et amplifié. La pose même du Conan original qu'on a désormais du mal à regarder sans voir le geste du type qui débouche une bouteille de pif, la typo reprise sur celle du film de
Millius et la justesse de l'expression du Banni, l'oeil légèrement plus fermé qui témoigne avec une économie de moyen de l'effort déployé.
A bientôt.